Le cousin de mon père, ce héros que j'aime

Celui dont je suis fière, bien que je ne sois que la fille de son cousin germain, je vais en parler. J'ai fait un texte extrait des Chroniques de Landévennec, ce monastère que j'aime et où les moines sont de si joyeuses et profondes personnes. J'ai été plus souvent à Kerbeneat voir mon "tonton" quand j'étais petite fille et c'était un ravissement. Il avait une voix douce et musicale et le soleil émanait de son être.
Je l'ai revu au cours de l'année 1988 après la mort de ma mère. Ce fut une douce rencontre en compagnie de ma soeur. Il mourut en 1906 .
Extraits de « Chroniques de Landévennec »
CHRONIQUE DU MONASTERE
De même que le mois de novembre avait été marqué par la Bénédiction de notre nouveau Père Abbé, de même celui de décembre le fut par le décès de notre ancien Abbé, le Père Félix. Le temps, particulièrement froid et brumeux en avaient retenu plusieurs, et dans les jours qui suivirent nous parvinrent nombre de lettres témoignant de la grande vénération et affection dont notre Père Félix était l’objet : « Disponible, attentif, indulgent, le décrira Josette Voiton dans le Courrier du Finistère; un moine tout entier tourné vers celui ou celle qui attendait conseil, compréhension, réconfort, aide, compassion ; un moine qui savait calmer les angoisses, ouvrir les cœurs, indiquer la direction, encourager ; un moine dont l’humilité, le retrait mais aussi la fermeté l’invitaient à une profonde réflexion ». La succession si rapide de ces deux événements n’était pas pour nous sans signification. Le Père Félix avait fondé Landévennec et depuis quarante ans l’arbre s’était enraciné et avait étendu ses ramifications ; une page était maintenant tournée, il nous fallait résolument nous tourner vers l’avenir.
Nous avons cru à l’amour
(Homélie du P. Abbé pour la veillée funèbre du Père Félix)
Il était d’usage autrefois qu’un Abbé, comme un évêque, se choisisse une devise. Le Père Abbé Louis-Félix avait tiré la sienne de la Première Lettre de saint Jean, ch. 4 :16 «Nous avons cru à l’amour » - L’expression est caractéristique du langage de Jean, qui voit dans la foi la source de la vraie connaissance. On ne connaît pas Dieu d’abord, pour croire en lui ensuite. On croit en Dieu et en son amour, de là vient qu’on les connaît l’un et l’autre. Le Père Félix a vécu au milieu de nous comme un grand croyant. Son discours sur la foi, la nécessité de la foi, paraissait avoir parfois quelques accents volontaristes. Il aimait répéter l’une des dernières paroles – à moitié bretonne, à moitié française – d’un jeune frère, François Cabon, décédé en 1949 : « C’est pas comprendre que c’est, c’est croire qu’il faut ». Il citait aussi le mot de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Je veux croire ». Il voyait dans la foi la mise en acte de la confiance et de l’amour. A nos complications d’adultes, à nos susceptibilités intellectuelles, il opposait la simplicité de l’enfant qui met sa main dans celle de sa mère et se laisse guider. Tous ceux et celles qui ont approché le Père Félix pourraient témoigner que la foi, la priorité de la foi, était chez lui un état d’esprit et la disposition habituelle de son cœur et de son intelligence.
Une autre dimension constante et profonde de sa vie était son désir de prendre part à la Pâque du Christ. Il a été touché par le petit mot « Il faut » qui revient sur les lèvres de Jésus quand il parle de sa mort et de sa résurrection : « Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans le livre de Moïse, les prophètes et les psaumes » (Luc 24 :44)
Il recevait ce mot dans la foi ; il y croyait, et de sa foi en cette parole naissaient chez lui connaissance et certitude : il n’y a pas de moisson sans semailles ; pour germer, le grain de blé doit mourir.
Recevant récemment la visite du Père Abbé de Solesmes, il lui a déclaré que c’est à Solesmes qu’avait pris naissance sa vocation monastique. Il en a fait confidence, en effet, à plusieurs de ses proches. En écoutant chanter l’offertoire grégorien « Dextera Domini », il avait été saisi par le passage où la mélodie souligne la foi victorieuse du psalmiste : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du Seigneur ». A travers ces mots et ce chant, le jeune abbé Félix Colliot a perçu l’appel à offrir sa vie au Christ dans l’obéissance et la pauvreté au monastère de Kerbénéat. Il aimait rappeler aux novices quel ensevelissement ce choix avait représenté pour lui. Quand il fit part à son évêque, Mgr Adolphe Duparc, de son désir d’entrer à Kerbénéat, celui-ci avait levé les bras au ciel en s’exclamant : « A Kerbénéat ! Dans ce tombeau ! » En 1931 cette maison, délabrée pour avoir été abandonnée une vingtaine d’années par suite des lois d’exil et de la Première Guerre mondiale, abritait un petit groupe de treize moines. Le Père Louis-Félix serait le quatorzième. L’avenir paraissait bien mal assuré. On sortait d’une guerre, une autre se préparait déjà. Qu’importe le Père Félix avait reçu l’appel à se laisser semer en terre. Il avait entendu, et il avait dit oui. « Mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur que de compter sur les hommes ; mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur que de compter sur les puissants »(Psaumes 117 :8-9). Il savait, par la foi, que cette mort s’épanouirait un jour en force de vie. Cinq ans après sa profession temporaire au 22 novembre 1932, il était nommé Prieur-Administrateuf, à 31 ans. La communauté, en 1937, comptait 21 frères. Après la mobilisation et la captivité – autre période et autre forme d’ensevelissement- il est élu Abbé, le 5 septembre 1945 ; il a 39 ans. A cette date, la Communauté compte quarante-cinq membres. Quelques années encore, et ils seront cinquante. Le chemin pascal se révélait fécond pour lui, pour ses frères et pour l’Eglise…
En 1950 s’ouvrait l’étape qui nous amène jusqu’au point où nous sommes aujourd’hui : le transfert de la Communauté de Kerbénéat à Landévennec… Avec le sens surnaturel qui a toujours été le sien, le Père Félix n’a jamais vu dans le succès de l’entreprise une réussite humaine. Nous avons remarqué qu’il avait toujours près de lui un petit crucifix noir, sans la moindre valeur artistique. L’an dernier seulement il m’a dit ce que cet objet représentait pour lui : ce crucifix avait été posé sur les lèvres du Père Bernard Le Pemp au moment de sa mort accidentelle le 9 octobre 1956. Or c’était la conviction intime du Père Félix – il me l’a dit plusieurs fois -, que la mort du Père Bernard n’était pas le fruit d’un destin aveugle. Chargé par son Abbé de diriger le chantier de la nouvelle abbaye en construction, le Père Bernard s’était voué tout entier à cette tâche ; le Père Félix pensait que le Père Bernard avait secrètement offert sa vie pour l’œuvre de Landévennec, et que le Seigneur avait accepté cette offrande. C’est toujours le fameux « il faut », qui lui était si cher : on n’accède à la vie qu’en passant par la mort. La pierre la plus précieuse sur laquelle repose la nouvelle abbaye – il en était certain -, c’est le don total de ce frère, fauché à 39 ans. Père Félix a demandé que la petite croix noire soit mise dans son cercueil.
Le texte de saint Luc que nous venons de lire rapporte la scène de l’Ascension du Seigneur. Autre mystère chrétien cher à notre frère défunt. Il était né et avait été baptisé le 24 mai 1906, qui était cette année-là le jeudi de l’Ascension. Il aimait le rappeler. Plus qu’une coïncidence heureuse il y voyait le signe de bénédiction – Luc précise, en effet, que Jésus s’est séparé de ses disciples « en les bénissant » -.
Père Félix s’est séparé de nous aussi désormais. Il est certainement parti en nous bénissant. La descente dans les eaux de la mort est achevée pour lui. Il a fait pour son Dieu tout ce qu’il devait faire. Il ne lui reste plus qu’à attendre l’heure de l’Ascension. Il est auprès du Seigneur, en l’amour duquel il a tellement cru. Prions-le ensemble de nous bénir.
Je l'ai revu au cours de l'année 1988 après la mort de ma mère. Ce fut une douce rencontre en compagnie de ma soeur. Il mourut en 1906 .
Extraits de « Chroniques de Landévennec »
CHRONIQUE DU MONASTERE
De même que le mois de novembre avait été marqué par la Bénédiction de notre nouveau Père Abbé, de même celui de décembre le fut par le décès de notre ancien Abbé, le Père Félix. Le temps, particulièrement froid et brumeux en avaient retenu plusieurs, et dans les jours qui suivirent nous parvinrent nombre de lettres témoignant de la grande vénération et affection dont notre Père Félix était l’objet : « Disponible, attentif, indulgent, le décrira Josette Voiton dans le Courrier du Finistère; un moine tout entier tourné vers celui ou celle qui attendait conseil, compréhension, réconfort, aide, compassion ; un moine qui savait calmer les angoisses, ouvrir les cœurs, indiquer la direction, encourager ; un moine dont l’humilité, le retrait mais aussi la fermeté l’invitaient à une profonde réflexion ». La succession si rapide de ces deux événements n’était pas pour nous sans signification. Le Père Félix avait fondé Landévennec et depuis quarante ans l’arbre s’était enraciné et avait étendu ses ramifications ; une page était maintenant tournée, il nous fallait résolument nous tourner vers l’avenir.
Nous avons cru à l’amour
(Homélie du P. Abbé pour la veillée funèbre du Père Félix)
Il était d’usage autrefois qu’un Abbé, comme un évêque, se choisisse une devise. Le Père Abbé Louis-Félix avait tiré la sienne de la Première Lettre de saint Jean, ch. 4 :16 «Nous avons cru à l’amour » - L’expression est caractéristique du langage de Jean, qui voit dans la foi la source de la vraie connaissance. On ne connaît pas Dieu d’abord, pour croire en lui ensuite. On croit en Dieu et en son amour, de là vient qu’on les connaît l’un et l’autre. Le Père Félix a vécu au milieu de nous comme un grand croyant. Son discours sur la foi, la nécessité de la foi, paraissait avoir parfois quelques accents volontaristes. Il aimait répéter l’une des dernières paroles – à moitié bretonne, à moitié française – d’un jeune frère, François Cabon, décédé en 1949 : « C’est pas comprendre que c’est, c’est croire qu’il faut ». Il citait aussi le mot de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Je veux croire ». Il voyait dans la foi la mise en acte de la confiance et de l’amour. A nos complications d’adultes, à nos susceptibilités intellectuelles, il opposait la simplicité de l’enfant qui met sa main dans celle de sa mère et se laisse guider. Tous ceux et celles qui ont approché le Père Félix pourraient témoigner que la foi, la priorité de la foi, était chez lui un état d’esprit et la disposition habituelle de son cœur et de son intelligence.
Une autre dimension constante et profonde de sa vie était son désir de prendre part à la Pâque du Christ. Il a été touché par le petit mot « Il faut » qui revient sur les lèvres de Jésus quand il parle de sa mort et de sa résurrection : « Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans le livre de Moïse, les prophètes et les psaumes » (Luc 24 :44)
Il recevait ce mot dans la foi ; il y croyait, et de sa foi en cette parole naissaient chez lui connaissance et certitude : il n’y a pas de moisson sans semailles ; pour germer, le grain de blé doit mourir.
Recevant récemment la visite du Père Abbé de Solesmes, il lui a déclaré que c’est à Solesmes qu’avait pris naissance sa vocation monastique. Il en a fait confidence, en effet, à plusieurs de ses proches. En écoutant chanter l’offertoire grégorien « Dextera Domini », il avait été saisi par le passage où la mélodie souligne la foi victorieuse du psalmiste : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du Seigneur ». A travers ces mots et ce chant, le jeune abbé Félix Colliot a perçu l’appel à offrir sa vie au Christ dans l’obéissance et la pauvreté au monastère de Kerbénéat. Il aimait rappeler aux novices quel ensevelissement ce choix avait représenté pour lui. Quand il fit part à son évêque, Mgr Adolphe Duparc, de son désir d’entrer à Kerbénéat, celui-ci avait levé les bras au ciel en s’exclamant : « A Kerbénéat ! Dans ce tombeau ! » En 1931 cette maison, délabrée pour avoir été abandonnée une vingtaine d’années par suite des lois d’exil et de la Première Guerre mondiale, abritait un petit groupe de treize moines. Le Père Louis-Félix serait le quatorzième. L’avenir paraissait bien mal assuré. On sortait d’une guerre, une autre se préparait déjà. Qu’importe le Père Félix avait reçu l’appel à se laisser semer en terre. Il avait entendu, et il avait dit oui. « Mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur que de compter sur les hommes ; mieux vaut s’appuyer sur le Seigneur que de compter sur les puissants »(Psaumes 117 :8-9). Il savait, par la foi, que cette mort s’épanouirait un jour en force de vie. Cinq ans après sa profession temporaire au 22 novembre 1932, il était nommé Prieur-Administrateuf, à 31 ans. La communauté, en 1937, comptait 21 frères. Après la mobilisation et la captivité – autre période et autre forme d’ensevelissement- il est élu Abbé, le 5 septembre 1945 ; il a 39 ans. A cette date, la Communauté compte quarante-cinq membres. Quelques années encore, et ils seront cinquante. Le chemin pascal se révélait fécond pour lui, pour ses frères et pour l’Eglise…
En 1950 s’ouvrait l’étape qui nous amène jusqu’au point où nous sommes aujourd’hui : le transfert de la Communauté de Kerbénéat à Landévennec… Avec le sens surnaturel qui a toujours été le sien, le Père Félix n’a jamais vu dans le succès de l’entreprise une réussite humaine. Nous avons remarqué qu’il avait toujours près de lui un petit crucifix noir, sans la moindre valeur artistique. L’an dernier seulement il m’a dit ce que cet objet représentait pour lui : ce crucifix avait été posé sur les lèvres du Père Bernard Le Pemp au moment de sa mort accidentelle le 9 octobre 1956. Or c’était la conviction intime du Père Félix – il me l’a dit plusieurs fois -, que la mort du Père Bernard n’était pas le fruit d’un destin aveugle. Chargé par son Abbé de diriger le chantier de la nouvelle abbaye en construction, le Père Bernard s’était voué tout entier à cette tâche ; le Père Félix pensait que le Père Bernard avait secrètement offert sa vie pour l’œuvre de Landévennec, et que le Seigneur avait accepté cette offrande. C’est toujours le fameux « il faut », qui lui était si cher : on n’accède à la vie qu’en passant par la mort. La pierre la plus précieuse sur laquelle repose la nouvelle abbaye – il en était certain -, c’est le don total de ce frère, fauché à 39 ans. Père Félix a demandé que la petite croix noire soit mise dans son cercueil.
Le texte de saint Luc que nous venons de lire rapporte la scène de l’Ascension du Seigneur. Autre mystère chrétien cher à notre frère défunt. Il était né et avait été baptisé le 24 mai 1906, qui était cette année-là le jeudi de l’Ascension. Il aimait le rappeler. Plus qu’une coïncidence heureuse il y voyait le signe de bénédiction – Luc précise, en effet, que Jésus s’est séparé de ses disciples « en les bénissant » -.
Père Félix s’est séparé de nous aussi désormais. Il est certainement parti en nous bénissant. La descente dans les eaux de la mort est achevée pour lui. Il a fait pour son Dieu tout ce qu’il devait faire. Il ne lui reste plus qu’à attendre l’heure de l’Ascension. Il est auprès du Seigneur, en l’amour duquel il a tellement cru. Prions-le ensemble de nous bénir.
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